26 septembre 2021

Le ghetto intérieur - Santiago H. Amigorena 💗

 Auteur : Santiago H. Amigorena 

Éditeur : Éditions Folio

Genre : Littérature sud-américaine (argentine), contemporaine

Parution :  04 Février 2021 -  192 pages



Ma note :
COUP DE COEUR 💗

Vicente vit à Buenos Aires après avoir quitté la Pologne en 1928 en y laissant sa mère, son frère et sa sœur, tous deux mariés. Là-bas, il a grandi, étudié et travaillé dans l'armée. Il a combattu en Russie et en Hongrie. Il était fier d'avoir servi son pays. Déçu par le comportements de ses frères d'armes, la motivation l'a quitté. Car Vicente est juif. Nous sommes à l'approche des années 1930. L'antisémitisme est déjà en marche. Même s'il se sent polonais avant tout, son désir de voir le monde a été plus fort. Il quitte la Pologne. Et voilà maintenant douze ans qu'il vit en Argentine, s'y est marié, a fondé une famille,  s'est intégré, y a construit sa vie et préparé son avenir.

"Vicente ne savait peut-être pas s'il était juif ou argentin,  mais il savait qu'il n'était plus assez polonais pour se battre,  comme il s'était battu,  pour défendre ce pays. "

Le récit démarre en 1940. Les nouvelles d'Europe ne sont pas bonnes. En Argentine, il y a beaucoup d'émigrés juifs qui ont reconstruit leurs vies, souvent à partir de rien, puis se sont adaptés localement. Bon nombre de familles sont restées en Europe lorsque la jeune génération s'expatrie au-delà de l'océan pour découvrir cette Amérique pleine de promesses.

Vicente n'est pas un homme bavard. Très secret, il réfléchit beaucoup, ne s'extériorise pas, et s'interroge énormément sur son passé, ses origines, les motifs qui l'ont réellement motivés à quitter la Pologne. Est-ce pour fuir sa famille ? Un besoin d'évasion ? La faute à l'antisémitisme grandissant ? La déception envers l'armée ? Une chose est sûre, aujourd'hui il a une autre vie et n'imagine pas une seule seconde à retourner sur le vieux continent. Très souvent, il a demandé à sa mère de le rejoindre, mais elle n'a jamais voulu.

Alors, leur seule façon de rester en contact sont les lettres, qui se sont faites plus rares ses dernières années. Et maintenant que le conflit mondial prend de l'ampleur, ce besoin de prendre des nouvelles l'obsède. Vicente comprend de plus en plus que la situation en Pologne et dans tous les pays occupés par les nazis devient dramatique. Mais il ne sait pas tout ce qui s'y passe réellement. Les journaux américains donnent des nouvelles au fur et à mesure, mais eux non plus ne savent pas tout. Vicente est très soucieux. Il se mure dans le silence.

C'est l'histoire d'un homme rongé par l'angoisse et la honte d'avoir laissé les siens au pays à l'aube d'une guerre, de ne pas être là-bas auprès d'eux, et de ne pas savoir. Il ne comprend pas le nazisme et cette haine contre le peuple juif. 

Une lecture dans laquelle on côtoie Goebbels, Heydrich, Himmler, Globocnik, Eichmann et bien sûr Hitler, tous les plus grands criminels dans leur entreprise génocidaire. On assiste à la mise en place des projets nazis, à la création du ghetto de Varsovie, à la Shoah, aux méthodes de destruction, au travail forcé dans les camps,  puis à l'extermination.

Et puis, il y a ces hommes et ces femmes, en proie à leur "ghetto intérieur", meurtris, submergés à jamais par cette culpabilité. Ils ne peuvent rien faire que d'assister à ce drame du 20ème siècle, sans pouvoir agir.

C'est l'histoire du silence de ceux qui restent mais c'est aussi l'histoire d'un grand-père, celui de l'auteur, Santiago H. Amigorena.

Poignant ! Un texte court mais fort, basé sur le ressenti et la conscience d'un homme.

COUP DE COEUR


"Et maintenant,  maintenant qu'il faudrait parler aux enfants,  maintenant que je devrais crier ma haine et ma peur,  maintenant que je sais ce qui se passe là-bas,  que je sais que jamais sans doute je ne réussirai à ce que ma mère et mon frère viennent à Buenos Aires,  maintenant que je sais que je ne sauverai personne,  maintenant que tout me semble vide et inutile,  maintenant qu'il n'y a rien d'autre qu'un vide immense qui s'étend devant moi,  maintenant...est-ce que j'ai le droit de leur dire ? Est-ce que j'ai le droit de leur demander de partager ma peine ? Maintenant que je sais qu'il est mortel,  est-ce que j'ai le droit de leur demander de boire une partie de ce venin qu'est ma douleur pour me soulager ?"


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